Alors que d’aucuns s’interrogent sur des façons inédites de dégager une marge de manoeuvre financière au gouvernement du Québec, l’idée de «vendre» Hydro-Québec à des investisseurs et d’inscrire son titre en bourse refait surface.
Les sommes encaissées pour cette transaction permettraient au gouvernement du Québec de rembourser sa dette, en partie ou totalement, lui épargnant, en partie ou totalement, les frais d’intérêt sur cette dette qui atteignent quelque 7,5 milliards$ annuellement.
L’idée soulève bon nombre de questions et d’objections mais mon propos ici se limite au seul enjeu d’estimer la valeur que les marchés financiers donneraient à l’avoir des actionnaires d’Hydro-Québec.
La meilleure façon de procéder, bien qu’imparfaite, consiste à :
1. Identifier des entreprises déjà cotées en bourse et dont le profil est aussi semblable que possible à celui d’Hydro-Québec; pour les fins de court texte, cinq entreprises américaines de production et de distribution d’énergie électrique ont servi d’étalon; American Electric, First Energy, Exelon, PPL et TXU. Voici le profil financer médian de ces cinq entreprises comparé à celui d’Hydro-Québec (données pour les 12 derniers mois, au 31 mars 2007 pour Hydro)
TABLEAU A
2. La prochaine étape consiste à associer les valeurs marchandes des sociétés-témoin à leur performance financière
La valeur marchande de chaque entreprise est composée de la valeur de l’avoir propre des actionnaires plus la valeur de la dette à long terme émise par la société. Pour jauger l’appréciation que font les marchés des entreprises dans un secteur industriel donné, il est usuel de rapprocher la valeur totale de chaque entreprise de son BAIIA.
Si l’on procède ainsi, pour les cinq sociétés-témoin, on obtient que leur valeur globale varie entre 7,6 fois et 12,5 fois leur BAIIA respectif (avec une moyenne de 9,8 et une médiane de 9,4). Utilisant le multiple moyen de 9,8 et le BAIIA d’Hydro-Québec (7,4 milliards $), on obtient une valeur pour l’entreprise de 72,5 milliards $.
Pour établir la valeur marchande de l’avoir des actionnaires, il faut soustraire de ce chiffre la valeur de la dette d’Hydro-Québec, 33 milliards $ au 31 mars 2007. On obtient donc une estimation de 39,5 milliards $ pour Hydro-Québec, société privée cotée en bourse. Comment cette valeur pour Hydro-Québec se compare-t-elle aux valeurs boursières des sociétés-témoin?
TABLEAU B
Ainsi, une privatisation d’Hydro-Québec, selon ces paramètres financiers actuels, pourrait rapporter quelque 40 milliards de $ au gouvernement du Québec. Si ce montant était consacré au remboursement de la dette, le gouvernement économiserait quelque 2,5 milliards de $ en dépenses d’intérêts; mais il perdrait le dividende annuel d’Hydro-Québec (quelque 50% des bénéfices). Ce dividende, (exceptionnellement) de 2,3 milliards de $ pour 2006, connaît une forte croissance. De toute évidence, cela serait une mauvaise affaire pour le Québec.
Augmenter les tarifs
Toutefois, ne pourrait-on accepter tous ensemble de relever fortement les tarifs d’électricité et ainsi augmenter les bénéfices d’Hydro-Québec pour privatiser l’entreprise sur la base de ces bénéfices majorés.
Il a été proposé d’augmenter les tarifs de façon à grossir les revenus d’Hydro-Québec de 4 milliards $ pour certains, de 7 milliards $ pour d’autres.
Notons qu’une telle augmentation équivaut à une hausse moyenne d’entre 30% et 60% des revenus bruts d’Hydro-Québec. Étant donné que plusieurs gros utilisateurs industriels jouissent de tarifs établis contractuellement pour une longue durée, cette augmentation serait assumée par les autres utilisateurs dont la facture d’électricité devrait augmenter encore plus que 30% ou 60%. Les ventes d’électricité à l’exportation pourraient rendre l’opération un peu moins douloureuse pour les Québécois, mais la note serait tout de même salée.
Supposons pour les fins de cet exercice que ces augmentations sont autorisées, quelle serait alors la valeur marchande d’Hydro-Québec?
Puisque le BAIIA d’Hydro-Québec passerait de 7,4 milliards $ à 11,4 ou 14,4 milliards $ selon l’une ou l’autre hypothèse, l’application (trop) linéaire des mêmes paramètres d’évaluation (9,8 fois le BAIIA), ferait augmenter la valeur marchande estimée de l’avoir des actionnaires de 40 milliards à 79 milliards $ (pour une augmentation de tarifs de 4 milliards $) ou à 108 milliards $ (pour une augmentation de tarifs de 7 milliards $).
Ce dernier chiffre rapproche la valeur d’Hydro-Québec du montant total de la dette du Québec (122 milliards $).
Plausible ?
Est-il plausible de supposer qu’une augmentation de tarifs d’électricité de cet ordre, fut-elle politiquement réalisable, produise une telle valeur pour Hydro-Québec?
Il faut noter que les valeurs marchandes des cinq sociétés-témoin comportent une attente d’augmentation annuelle du bénéfice net de quelque 9% pour les cinq prochaines années.
Or, Hydro-Québec, société privée, dont les marges bénéficiaires viendraient de passer de 17,1 % à 29 % ou 35 %, un niveau incomparable dans l’industrie, pourrait-elle extraire de nouvelles augmentations de tarif de cet ordre ? Bien improbable.
La société pourrait-elle comprimer ses dépenses au rythme de 600 millions à 1,1 milliard par année pour réaliser une augmentation de 9 % de ses bénéfices nets après impôt? Impossible Les frais d’exploitation d’Hydro en 2006 totalisaient 2,4 milliards $.
Il faut conclure que les investisseurs ajusteraient à la baisse le rythme d’augmentation des bénéfices nets attendu, ce qui aurait pour effet de réduire les multiples pertinents.
Pour tenter de capter l’effet d’un taux de croissance réduit, le multiple de 7,6 fois (le bas de la fourchette) fut utilisé, ce qui donne une valeur entre 53 milliards $ et 76 milliards $ (selon l’une ou l’autre hypothèse tarifaire) pour une société Hydro-Québec privatisée.
Conclusion
Bien qu’Hydro-Québec soit une société d’une grande valeur économique pouvant contribuer de diverses façons à la trésorerie du gouvernement du Québec, ce n’est pas par sa privatisation que l’on résoudra les problèmes de la fiscalité québécoise. Au mieux, une telle opération produirait une économie de frais d’intérêts de quelque 4,6 milliards $. Ce résultat serait obtenu à la suite d’une augmentation de 7 milliards $ des tarifs d’électricité. Hydro-Québec, société d’État, selon sa politique de dividende actuelle, verserait quelque 5 milliards $ annuellement suite à une telle augmentation de ses bénéfices.
Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC
Président du conseil
Institut pour la gouvernance d’organisations publiques et privées (HEC-Concordia)
Les Affaires
3 août 2007
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Très franchement, je ne suis jamais pour la privatisation des entreprises publiques. Je pense que même si les prestations seront potentiellement meilleures, le coût en sera plus élevé et cela aura forcément un impact sur le pouvoir d'achat des ménages.
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