jeudi 14 avril 2011

Nés pour un p’tit pain! Pour une politique québécoise des ressources naturelles

The commonest error in politics is sticking to the carcass of dead policies. Lord Salisbury (1830-1903)

« Le Québec a la chance d'avoir des ressources : des ressources qui participent à notre développement et des ressources qui sont en forte demande dans les économies émergentes. Nos ressources sont une richesse. Elles font notre histoire. Elles sont notre territoire. Elles font partie de notre patrimoine. Elles nous appartiennent. L'exploitation de nos ressources naturelles doit obéir à des conditions strictes. Elle doit être soumise au paiement de justes redevances. Elle doit entraîner des retombées locales et régionales. Et elle doit se faire dans le respect de l'environnement et des communautés locales. » Premier Ministre Jean Charest, Discours inaugural, 23 février 2011.

Le premier ministre Charest a parlé avec éloquence et clairvoyance des richesses naturelles du Québec. Il a raison. De l’eau à l’or, en passant par toutes les ressources minières, la surenchère mondiale pour les ressources naturelles chauffe les prix. Nos gouvernements doivent démontrer une grande intelligence politique pour maximiser les bénéfices de ces ressources pour tous leurs citoyens.

Quand et à quel rythme convient-il d’exploiter ces ressources ? Comment en protéger la propriété jusqu’à ce qu’on puisse en tirer le meilleur prix ? Qui devrait assumer l’exploitation de ces ressources ? Comment l’État s’assure-t-il d’obtenir les retombées maximales pour ses revenus de façon écologiquement responsable pour la société ?

Un changement de donne économique

Partout, la stratégie industrielle en ce domaine névralgique des ressources naturelles visait naguère à attirer le plus grand nombre de sociétés d’exploration et d’exploitation afin de créer le plus grand nombre d’emplois; on croyait nécessaire de proposer aux exploitants de mines des concessions fiscales et autres avantages pour qu’ils choisissent notre territoire national pour mener leurs activités, comme s’il s’agissait de convaincre une entreprise manufacturière, ayant à décider entre plusieurs sites possibles, d’établir sa nouvelle usine chez nous.

Or, depuis quelques années, en raison du développement des économies de la Chine, des Indes et autres pays en pleine croissance démographique et économique, les prix des ressources naturelles se sont envolés. La figure suivante montre de façon saisissante comment le monde de 2011 ne ressemble en rien à celui d’il y a à peine dix ans.


Indice des Prix Internationaux de Divers Métaux 1986-2011


(Source : www.indexmundi.com)

Un pays ne peut optimiser la valeur de ses ressources naturelles non renouvelables au 21ième siècle en s’appuyant sur un modèle de développement d’une autre époque.

Le message du Premier Ministre Charest, à l’aube de cette nouvelle session de l’Assemblée nationale, signifie-t-il que le gouvernement du Québec a enfin l’intention de procéder à un examen en profondeur de la politique québécoise de valorisation des richesses naturelles ? Nous le souhaitons car il est impérieux de revoir toute notre façon de concevoir les intérêts du Québec en ce domaine.

Quels seraient les termes d’une nouvelle politique en ce domaine?

Premièrement, revoir la panoplie d’incitatifs financiers et fiscaux offerts aux exploitants de mines.

Le cout de ces incitatifs est exorbitant; ils font assumer au gouvernement une bonne partie des risques en retour pour des redevances modestes et différées dans le temps. Tout programme de support financier et fiscal à l’exploration minière devrait cibler que des secteurs de rentabilité marginale et comporter une obligation de remboursement des fonds et crédits accordés avant tout paiement de dividendes ou rachats d’actions de la société. Ces programmes ne devraient être maintenus que si le régime de redevances est revu selon la proposition suivante.

Deuxièmement, établir des redevances calibrées au prix du marché de la ressource exploitée.

La politique actuelle exige un paiement de redevances sur la base des « profits » de la mine. Dans la mesure où le gouvernement s’en tient aux approches traditionnelles basées sur des droits miniers payés par l’exploitant des ressources naturelles, pourquoi ne pas établir des droits miniers arrimés aux revenus plutôt qu’aux profits nets, comme cela se fait ailleurs, comme cela se fait pour le gaz et le pétrole ?

De plus, au Québec, le taux de redevance est constant pour tous les minerais, quelle que soit la valeur de la ressource extraite du sol québécois. Une telle pratique donne des résultats inacceptables, laissant aux exploitants d’une ressource qui appartient à tous les Québécois une part outrancière des profits.

Prenons comme exemple, l’or. Pourquoi ne pas établir pour l’or un système de redevances comme pour le pétrole. Une formule simple fixe le pourcentage de redevances en fonction du prix au marché du baril de pétrole; ce pourcentage atteint rapidement un maximum de 40%. Dans le cas de l’or, les exploitants de mines se disaient très heureux de la rentabilité lorsque le prix de l’or était de quelque $775 l’once. Pourquoi ne pas imposer une redevance spéciale de 40% sur la valeur de l’or au-delà de $775.

Au prix actuel de quelque $1475, cette simple mesure apporterait $280 de redevances par once d’or extrait du sol québécois. Cette redevance établirait un partage plus équitable entre les actionnaires de ces sociétés exploitant notre ressource et les citoyens du Québec, propriétaires de la ressource. À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

Pour la seule mine de Malartic, dont on estime maintenant la production à quelque 10 millions d’onces d’or, cette mesure rapporterait au gouvernement du Québec au moins $2,8 milliards (auquel s’ajouteraient les pitoyables redevances de $88 millions estimées au prix de $775 l’once, selon la méthode actuelle de calcul des redevances).

Dans une douzaine d’années, cet or aura disparu du sol québécois au profit démesuré des actionnaires et dirigeants des entreprises minières si on ne change pas maintenant les règles du jeu.

Les firmes, dira-t-on, vont arrêter d’exploiter nos ressources si le Québec exige trop de redevances. Comprenons que l’exploitation d’une mine d’or fait appel à des technologies simples et très bien connues, que les travaux sont en grande partie assumés par des firmes de géologues, d’ingénieurs conseil et de construction, ce qui ne manque pas au Québec. C’est pourquoi une politique dynamique dans ce secteur doit compter sur une société d’État dédiée au développement des ressources naturelles.

Troisièmement, créer une société d’État avec mandat de maximiser la valeur des ressources québécoises de façon respectueuse de l’environnement et sensible aux grands enjeux internationaux.

Cette société, une SOQUEM revitalisée, aurait pour mandat d’établir un arbitrage entre exploration et exploitation des ressources naturelles, de prendre des participations dans certaines sociétés d’exploitation, de formuler une stratégie de développement calibré et écologique des ressources naturelles de l’État du Québec, de créer des co-entreprises d’exploitation des ressources lorsque approprié.

Cette société devrait jouer un rôle de leadership dans l’identification des nouvelles opportunités et la mise en place d’un plan de développement.

Les terres rares

A titre d’exemple, les minerais appelés terres rares jouent un rôle de plus en plus important dans une gamme de produits sophistiqués (satellites, turbines pour éolienne, les nanotechnologies, les aimants de haute performance, etc. ) Or, la Chine contrôle 90% à 95% de la production mondiale de ces terres rares, ce qui a déclenché une course internationale pour identifier de nouveaux sites de production. Il semble que le Canada, et particulièrement le Québec, possède des formations rocheuses propices à l’exploitation de terres rares. Plusieurs petites sociétés canadiennes d’exploration s’affairent dans ce secteur à haut potentiel. Toutefois, le temps presse car d’autres pays mettent en place des programmes d’exploration. Doit-on attendre que ces petites firmes trouvent les ressources financières, les partenaires industriels, etc. pour avancer dans ce domaine ? Une SOQUEM revitalisée devrait mettre au point un plan de match pour donner au Québec une place importante dans ce secteur.

Sociétés d’État hybrides

Il est curieux de constater que tant de pays conservent la mainmise sur leurs ressources alors qu’au Québec on s’en remet exclusivement aux entreprises privées cotées en bourse. Ne devrait-on pas évaluer les avantages de sociétés d’État hybrides selon lesquelles le gouvernement détient un pourcentage substantiel des actions, le reste étant détenu par le public et coté en bourse ?

Le gouvernement conserve ainsi le contrôle de la société (ou du moins une minorité de blocage) mais, inscrite en bourse, la société a accès aux sources de capitaux privés pour financer son développement et bénéficie, dans le meilleur des mondes, de la discipline de gouvernance, de la transparence et des mesures de performance imposées par l’inscription de l’entreprise en bourse.

Ce modèle de société combine la possibilité pour un État de participer pleinement aux profits de l’exploitation tout en bénéficiant de la discipline imposée par les marchés financiers et la réglementation des valeurs mobilières.

En fait, dans des pays aussi différents que la Norvège, la Finlande, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, des sociétés d’État ou des sociétés contrôlées par l’État détiennent des participations importantes dans les secteurs névralgiques des ressources naturelles. Rarement, ces gouvernements laissent-ils leurs sociétés d’importance stratégique vulnérables aux prises de contrôle par des intérêts étrangers.

Sur les dix sociétés ayant la plus grande valeur boursière au monde en fin de 2010, quatre étaient des sociétés d’État hybrides œuvrant dans le secteur des ressources naturelles!

Quatrièmement, créer un fond souverain avec les redevances et les dividendes provenant de l’exploitation des ressources naturelles non-renouvelables.

Les pays riches en ressources naturelles ont une obligation de mettre en réserve une partie des fonds obtenus de cette richesse au bénéfice des générations futures. Durant cette période de montée des prix des ressources, avec la réelle possibilité d’une exploitation pétrolière significative dans le golf du St-Laurent, le Québec devrait créer un fond souverain dans lequel serait versé les redevances et autres rentrées de fonds provenant de l’exploitation des ressources naturelles. Ce fond devrait servir à combler les déficits conjoncturels du Québec, stabiliser les revenus de l’État et réduire de façon opportune la dette du Québec.


Conclusion

Les États riches en ressources naturelles, comme le Québec, ont le devoir et la responsabilité fiduciaire d’en maximiser la valeur pour l’ensemble des citoyens, les propriétaires ultimes de cette ressource. Les gouvernements doivent larguer les anciens modèles, les incitations fiscales et autres mesures pour attirer les exploitants miniers à bien vouloir s’occuper de nos ressources.

Les gouvernements se doivent de négocier avec sagacité l’accès aux ressources de leur pays ; ils doivent prendre les moyens et les stratégies pour en maximiser les retombées fiscales. Ces stratégies doivent inclure le recours en certaines situations aux sociétés d’État hybrides, aux droits miniers calibrés au prix du marché des ressources et même au partage des profits au delà d’une rentabilité jugée acceptable par les promoteurs.

Agir autrement serait une erreur dramatique et irréversible. Le discours inaugural du Premier Ministre Charest serait-il le signe avant-coureur d’une nouvelle politique des ressources naturelles, plus musclée, mieux arrimée au nouveau contexte international?

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