mardi 18 octobre 2011

L’intelligence politique et la valorisation de nos ressources naturelles

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L’intelligence politique et la valorisation de
nos ressources naturelles
Yvan Allaire, Ph. D., MSRC1
Président du conseil
Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP)
Mihaela Firsirotu, Ph. D.
Professeur de stratégie à l’École des sciences de la gestion, UQÀM
Le 24 février 2011
«Le Québec a la chance d'avoir des ressources : des ressources qui participent à notre développement et des ressources qui sont en forte demande dans les économies émergentes. Nos ressources sont une richesse. Elles font notre histoire. Elles sont notre territoire. Elles font partie de notre patrimoine. Elles nous appartiennent. L'exploitation de nos ressources naturelles doit obéir à des conditions strictes. Elle doit être soumise au paiement de justes redevances. Elle doit entraîner des retombées locales et régionales. Et elle doit se faire dans le respect de l'environnement et des communautés locales.»
1 Les propos tenus dans cet article n’engagent que les auteurs.
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Premier Ministre Jean Charest, Discours inaugural, 23 février 2011.
Le premier ministre Charest fait montre d’éloquence et de clairvoyance à propos des richesses naturelles du Québec. Il a raison ; la croissance économique de pays comme la Chine et l’Inde fait et continuera de faire un appel pressant aux ressources naturelles de l’univers. De l’eau à l’or, en passant par toutes les ressources minières, la chasse est ouverte. Dans ce contexte de surenchère mondiale pour les ressources naturelles, nos gouvernements doivent démontrer une grande intelligence politique pour maximiser les bénéfices de ces ressources pour tous leurs citoyens. C’était là d’ailleurs un message incontournable entendu à Davos.
Une vaste partie d’échecs est engagée; devant des perspectives de croissance importante de la valeur des ressources naturelles non renouvelables, quand et à quel rythme convient-il d’exploiter ces ressources ? Comment en protéger la propriété jusqu’à ce qu’on puisse en tirer le meilleur prix ? Qui devrait assumer l’exploitation de ces ressources ? Comment l’État s’assure-t-il d’obtenir les retombées maximales pour ses revenus et pour le mieux-être de la société ?
Un changement de donne économique
Au Québec, depuis que les sociétés d’État Soquem et Soquip furent expédiées aux limbes de la SGF, nos gouvernements s’en remettent exclusivement aux entreprises du secteur privé pour l’exploitation de ressources non renouvelables. Le gouvernement québécois offre « une juridiction parmi les meilleures au monde pour l’exploration minière » ainsi que l’annoncent les exploitants de mines au Québec. L’Institut Fraser, organisme de droite dure et
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pure, donne une rare bonne note au Québec pour ses politiques favorables aux exploitants miniers. Classé premier (sur 51 juridictions évaluées) au cours de trois dernières années, le Québec est tombé au troisième rang cette année parce qu’il a osé proposer une modeste augmentation des droits miniers sans une consultation préalable de l’industrie !
Cette attitude se comprend. Naguère, la stratégie industrielle en ce domaine névralgique des ressources naturelles visait à attirer des sociétés d’exploration et d’exploitation pour créer des emplois au Québec; on croyait nécessaire de proposer aux exploitants de mines des concessions fiscales et autres avantages pour qu’ils choisissent le Québec afin d’y mener leurs activités, comme s’il s’agissait de convaincre une entreprise manufacturière, ayant à décider entre de multiples possibilités de localisation, d’établir sa nouvelle usine chez nous.
Le rapport du Vérificateur général du Québec pour 2008-2009 comporte une analyse troublante des politiques québécoises dans ce secteur. Il y présente le tableau suivant (son Tableau 8) sur les incitations fiscales consenties à cette industrie en rapport aux droits miniers reçus pour l’exploitation des ressources naturelles québécoises. On constate qu’en 2008 par exemple, les incitations de toute nature consenties à l’industrie minière ont couté $43 millions de plus que les droits miniers perçus et que pour les six années de ce tableau le déficit pour la fiscalité québécoise s’établissait à quelque $369 million!
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Malheureusement, hormis quelques modifications à la loi et une modeste augmentation des droits miniers en 2010, nos gouvernements persistent avec cette stratégie industrielle d’une autre époque alors que le monde a changé, que les ressources naturelles non renouvelables font, et feront encore plus demain, l’objet d’une convoitise sans précédent, d’un appétit insatiable.
Un pays ne peut optimiser la valeur de ses ressources naturelles non renouvelables au 21ième siècle en s’appuyant sur ce modèle de développement. En fait, dans des pays aussi différents que la Norvège, la Finlande, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, les sociétés d’état ou des sociétés contrôlées par l’État détiennent des participations importantes dans les secteurs névralgiques des ressources naturelles. Rarement, ces gouvernements laissent-ils leurs sociétés d’importance stratégique vulnérables aux prises de contrôle par des intérêts étrangers.
Le message du Premier Ministre Charest, à l’aube de cette nouvelle session de l’Assemblée nationale, signifie-t-il qu’il a enfin l’intention de procéder à un examen en profondeur de la politique québécoise de valorisation des richesses naturelles ? Nous le souhaitons car Il est impérieux de revoir toute notre façon de concevoir les intérêts du Québec en ce domaine.
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Rôle des gouvernements dans le secteur des ressources naturelles
Il est curieux de constater que tant de pays conservent la mainmise sur leurs ressources alors qu’au Québec on s’en remet aux entreprises privées cotées en bourse. Ne devrait-on pas évaluer les avantages de sociétés d’État hybrides selon lesquelles le gouvernement détient un pourcentage substantiel des actions, le reste étant détenu par le public et coté en bourse ?
Le gouvernement conserve ainsi le contrôle de la société (ou du moins une minorité de blocage) mais inscrite en bourse, la société a accès aux sources de capitaux privés pour financer son développement et bénéficie, dans le meilleur des mondes, de la discipline de gouvernance, de la transparence et des mesures de performance imposées par l’inscription de l’entreprise en bourse.
Sur les dix sociétés ayant la plus grande valeur boursière au monde en fin de 2010, quatre étaient des sociétés d’État hybrides oeuvrant dans le secteur des ressources naturelles!
Ce modèle de société combine la possibilité pour un État de participer pleinement aux profits de l’exploitation tout en bénéficiant de la discipline imposée par les marchés financiers et la réglementation des valeurs mobilières.
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Les droits miniers
Dans la mesure où le gouvernement s’en tient aux approches traditionnelles basées sur des droits miniers payés par l’exploitant des ressources naturelles, pourquoi ne pas établir des droits miniers arrimés aux revenus plutôt qu’aux profits nets, comme cela se fait ailleurs ? En effet, le profit comptable résulte de nombreux jugements plus ou moins arbitraires, plus ou moins discutables. Les revenus, eux, sont simples à établir.
Pourquoi le taux de droits miniers ne varie-t-il pas en fonction du prix au marché des ressources ? Ainsi, la mine d’or de Malartic au Québec, l’une des plus importantes mines d’or au monde, était jugée éminemment rentable lorsque le prix de l’or était de 775 $ l’once; elle devient extrêmement rentable au prix de 1 300 $ l’once d’or. Pourquoi ne pas établir les droits miniers selon un taux qui varie avec le prix de l’or. Ce seul changement, pour une seule mine, aurait pu facilement ajouter 1 milliard $ aux revenus de l’État québécois2.
Voici l’estimation des retombées fiscales du projet estimées par la société Osisko, l’exploitant de cette mine à un prix de l’or de 775 $ l’once.
2 La défunte SGF a consenti un prêt de 75 millions $ à la société Osisko convertible en actions de la société au prix de 9,18 $ l’action; avec cette seule entente, la SGF (maintenant Investissement Québec) pourrait réaliser au cours présent du titre d’Osisko un profit de quelque 33 millions $.
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Source : Sommaire du projet Malartic de la société Osisko; mémoire déposé le 12 mai 2010 à
l’Assemblée nationale du Québec par Osisko, p.8
Au prix de 775 $ l’once d’or et selon la nouvelle politique de droits miniers annoncée au budget de 2010, les droits miniers passent de 68 millions $ à
88 $ millions. Alors que la nouvelle loi québécoise stipule que des droits miniers de 16% sur les profits nets devront être versés à compter du 1er janvier 2012, on constate que pour des profits nets estimés à 1 515 milliard $, les droits miniers estimés ne représentent que 5,8% de ces profits. Il faut comprendre que «profits» pour fins de droits miniers prend un sens particulier.
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Or déjà en avril 2010, la société annonçait, dans son document annuel d’information déposé sur SEDAR, que la quantité d’or serait beaucoup plus importante qu’annoncé précédemment.
«Les réserves exploitables par fosse s'élèvent maintenant à 8,97 millions d'onces d'or…, une hausse de 2,69 millions d'onces d'or ou 42,8 pour cent par rapport à l'étude de faisabilité publiée antérieurement;…
La durée de vie de la mine s'allonge de 25 pour cent pour atteindre 12,2 années,
Sur la durée de vie de la mine de 12,2 ans, la production annuelle de l'exploitation minière envisagée serait de 630 000 onces d'or en moyenne (plus 800 000 onces d'argent), pour une production totale de 7,72 millions d'onces d'or.»
Voici à quoi pourrait ressembler les résultats financiers de l’exploitation de cette mine aux prix courants de l’or et de l’argent (sous l’hypothèse des mêmes ratios pour les impôts et droits miniers que dans les estimations pour le projet présentées ci-haut)3
 Revenus totaux (7,7 millions d’onces @ 1 300 $ l’once d’or ainsi que 8,9 millions d’onces d’argent @ 30 l’once $) = 10,4 milliards $
 Tous les frais d’exploitation = 2, 736 milliards $ (comme ci-haut)
 Profits à distribuer = 7, 664 milliards $
Impôt provincial 789 millions $ (ratio 156/1515=10,3%)
Droits miniers 444 millions $ (ratio 88/1515 = 5,8%)
Impôt fédéral 996 millions $ (ratio 198/1515 = 13%)
Total 2,229 milliard $
 Profits pour les actionnaires = 5,435 milliards $ !
3 Ces calculs sont fortement sujets à erreur car l’information précise sur comment sont établis ces impôts et ces droits miniers n’est pas rendue publique.
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Il n’est pas étonnant que la valeur boursière de la société Osisko soit de quelque 5,2 milliards $ au 22 février 2011. Pourquoi les actionnaires de cette société empocheraient-ils toute la valeur créée par la flambée du prix international de l’or.
En fait, avec des profits estimés de 1 milliard $ le 10 mai 2010, les exploitants de la mine semblaient heureux du projet. Pourquoi ne pas partager les profits supérieurs à ce milliard entre les citoyens du Québec et les actionnaires de l’exploitant. Un projet qui devait rapporter 1 milliard $ aux actionnaires en rapporterait maintenant 3,2 milliards $! Les Québécois, propriétaires des ressources naturelles, en recevraient quelque 3,5 milliards $ plutôt que les quelque 1,2 milliards $ estimés.
Conclusion
Les États riches en ressources naturelles, comme le Québec, ont le devoir et la responsabilité fiduciaire d’en maximiser la valeur pour l’ensemble des citoyens, les propriétaires ultimes de cette ressource. Pour ce faire, les gouvernements doivent larguer les anciens modèles, les incitations fiscales et autres mesures pour attirer les exploitants miniers à bien vouloir s’occuper de nos ressources.
Les gouvernements se doivent de négocier avec sagacité l’accès aux ressources de leur pays ; ils doivent prendre les moyens et les stratégies pour en maximiser les retombées fiscales. Ces stratégies doivent inclure le recours en certaines situations aux sociétés d’État hybrides, aux droits miniers
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calibrés au prix du marché des ressources et même au partage des profits au delà d’une rentabilité jugée acceptable par les promoteurs.
Agir autrement serait une erreur dramatique et irréversible.
Le discours inaugural du Premier Ministre Charest serait-il le signe avant-coureur d’une nouvelle politique des ressources naturelles, plus musclée, mieux arrimée au nouveau contexte international?

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