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Le bonheur des peuples
Yvan Allaire, Ph.D., MSRC
Président du conseil
Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP)1
« Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent rois ou que les rois fussent philosophes » Platon
En 1972, le quatrième roi du Bouthan fit inscrire dans la constitution de son pays que l’augmentation du « Bonheur National Brut » devait inspirer les politiques du gouvernement, selon quatre axes précis : croissance et développement économique ; conservation et promotion de la culture ; sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources ; bonne gouvernance responsable.
Pour ne pas être en reste, le président Sarkozy, en un geste proprement napoléonien, créa en 2008 la Commission pour la Mesure des Performances Économiques et du Progrès Social et confia à trois économistes réputés (Stiglitz, Sen, Fitoussi) la tâche de lui proposer des indices pour mesurer le progrès de la France sous son règne.
La Commission fit 12 recommandations inspirées par un thème unificateur : Il est temps que notre système statistique mette davantage l’accent sur la mesure du bien-être de la population que sur celle de la production économique, et qu’il convient de surcroît que ces mesures du bien-être soient resituées dans un contexte de soutenabilité. (Page 13)
1 Les opinions contenues dans ce texte sont celles de l’auteur et n’engagent ni l’IGOPP ni son conseil d’administration.
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Un enjeu historique
L’enjeu n’est pas nouveau. La Déclaration d’indépendance américaine, on l’a souvent noté, fait de « la recherche du bonheur » un droit inaliénable, égal au droit à la vie et à la liberté. Le peuple, déclarent les signataires de la Déclaration, a le droit d’établir un nouveau gouvernement selon des principes et une forme « les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur (safety and happiness) ».
Érudits qu’ils étaient, les Pères fondateurs donnaient au concept de « bonheur » une signification inspirée d’Aristote « en ce qu'il s'agit de l'épanouissement de l'être humain dans la vie de la cité, sous la conduite de la droite raison et des vertus» mais revue et corrigée par Jeremy Bentham : « Le bonheur le plus grand pour le plus grand nombre doit fonder les moeurs et les lois »
Longtemps, ces belles phrases semblèrent, au mieux, une forme de poésie politique ou, au pire, un ratiocinage d’intellectuels. La notion de bonheur semblait par trop abstraite et subjective pour constituer un argument politique. Les gouvernements se préoccupèrent donc avec grand zèle du développement économique, de la croissance de la productivité, de l’augmentation du PIB per capita.
L’argent et le bonheur
Mais l’argent fait-il le bonheur des peuples ? En 2010, les gens se sentent-ils bien, heureux de leur sort, satisfaits de leur vie ? Les pays, comme les individus, diffèrent grandement dans leurs réponses à ces questions. Certes, le niveau de développement économique contribue fortement au relèvement du pourcentage de la population exprimant un sentiment de bien-être.
Il en fut ainsi par le passé et il en est encore ainsi pour une vaste partie de l’humanité. Le sentiment de bien-être et le niveau de satisfaction avec sa vie sont fortement associés aux indicateurs économiques mais cette relation s’affaiblit au fur et à mesure de la croissance de la richesse collective. C’est ce qui explique que l’on veuille se donner des mesures autres qu’économiques, des mesures plus variées, plus « sociales » pour apprécier la qualité de vie dans les différents pays.
L’Organisation des Nations Unies propose depuis 1990 son « Indice de développement humain » (IDP). Depuis 25 ans, le « World Values Survey » sonde l’humeur des peuples, suppute sur les causes de leur bonheur relatif. The Legatum Prosperity Index (LGPI) propose un ordonnancement de 104 pays selon 9 mesures explicatives (selon les auteurs) de la prospérité des peuples. Le groupe Globeco publie un « Indice du bonheur mondial » (IBM) classant 60 pays sur la base de plusieurs variables rassemblées en quatre chapitres : 1.Paix et sécurité ; 2.Liberté, démocratie, droits de l’homme ; 3.Qualité de la vie ; 4.Recherche, formation, information, culture.
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Puis, récemment, est apparu « The Happy Planet Index », un indice combinant trois variables : 1.L’espérance de vie ; 2.Une mesure de satisfaction avec la vie ; 3.Une mesure écologique d’utilisation des ressources. Enfin, depuis quelques années, le Canada a son propre « Indice du mieux-être ».
Quelques constatations
Quels résultats émanent de toute cette agitation ? Au premier chef, quelles que soient les mesures utilisées, économiques ou non, statistiques ou par sondages, quantitatives ou qualitatives, le Canada apparait toujours parmi les premiers et presque toujours accompagnés des mêmes pays (Suède, Norvège, Pays bas, Finlande, Danemark, Australie, Suisse).
Le tableau suivant illustre ce remarquable résultat. Que ce soient pour le PIB par tête (en parité du pouvoir d’achat), pour le développement humain selon l’ONU, pour les indicateurs de prospérité, etc., le Canada se classe toujours parmi les 10 premiers pays au monde !
PIB par tête (2009) IDH (2009) IBM (2010) LGPI (2009)
1 – Norvège 1 – Norvège 1 – Suède 1-Finlande
2 – Etats-Unis 2 – Australie 2 – Norvège 2.Suisse
3 – Irlande 3 – Islande 3 – Danemark 3.Suède
4 – Pays Bas 4 – Canada 4 – Pays bas 4.Danemark
5 – Australie 5 – Irlande 5 – Finlande 5.Norvège
6 – Autriche 6 – Pays bas 6 – Canada 6. Australie
7 – Canada 7 – Suède 7 – Australie 7.Canada
8 – Suède 8 – France 8 – Allemagne 8.Pays bas
9 – Danemark 9 – Suisse 9 – Suisse 9. États-Unis
10 – Royaume Uni 10 – Japon 10 – Irlande 10.N. Zélande
Sources : (Banque mondiale) (ONU) (Globeco) (Legatum)
Une seule exception à ce palmarès. Le Canada se classe qu’au 89ième rang selon le « Happy Planet Index » en raison d’un score écologique plutôt médiocre.
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Selon un processus proprement maslovien2, la relation entre les indicateurs économiques, comme le PIB par tête, et le « bonheur » des citoyens s’affaiblit promptement. Les mesures économiques, aussi importantes fussent-elles, escamotent le fait que la richesse économique peut coexister avec un sentiment de désarroi et de déprime collective. Au delà d’un certain niveau de richesse collective, d’autres facteurs influencent le sentiment de bien-être, la satisfaction et le bonheur ressenti par les citoyens.
Plus que la richesse absolue, la richesse relative, ou le degré d’inégalité économique dans une société, semble influencer de façon significative le niveau de satisfaction ressenti par les membres de la société.
La notion de « capital social » revêt une importance surprenante ; l’intégration sociale, le sentiment de support de la famille et des amis, l’appartenance à des groupes sociaux, l’affiliation religieuse contribuent au sentiment de bien-être et de bonheur.
La confiance (trust) envers les autres membres de la société est fortement associée au développement d’un capital social et d’un sentiment de satisfaction avec sa vie. Le « World Values Survey » comporte la question suivante :
De façon générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on ne peut jamais assez se méfier des gens?
On peut faire confiance à la plupart des gens .........
On ne peut jamais assez se méfier .........................
NE SAIT PAS...........................................................
Quels pays retrouve-t-on parmi ceux dont les répondants ont déclaré à plus de 50% que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ?
Norvège (65%), Suède (63%), Danemark (58%), Pays bas (54%), Finlande (54%), Canada (53%) !
Selon Helliwell et Huang (2009), la confiance (trust) envers les collègues de travail et envers la direction de l’organisation pour laquelle on travaille contribue puissamment à la satisfaction avec sa vie…ainsi qu’à la productivité. Voilà un message important pour tout dirigeant d’une organisation. Les membres de l’organisation me font-ils confiance ? Ont-ils le sentiment que nous partageons les mêmes valeurs, le même engagement mutuel ? Sans une certaine confiance mutuelle, une certaine loyauté, un sentiment que tous sont
2 Abraham Maslow (1908-1970) proposa une hiérarchie des besoins, postulant qu’une fois les besoins primaires satisfaits, d’autres besoins « hiérarchiquement supérieurs », comme les besoins d’appartenance, d’estime de soi et d’auto-accomplissement devenaient importants pour la satisfaction et la motivation des individus.
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« dans le même bateau », les organisations deviennent ingérables, des lieux de mercenaires aux âpres calculs économiques.
Conclusions
Il n’est pas surprenant qu’à notre époque l’on recherche des mesures qui donnent une image plus complète, plus fine, du succès d’une société. En effet, dans les sociétés relativement riches, des enjeux comme la qualité de l’environnement et les inégalités sociales prennent une place parfois aussi importante que la stricte performance économique.
Une leçon forte qui se dégage de toutes ces études porte sur l’importance du « capital social », du sentiment d’intégration sociale, de la confiance envers les autres membres de la société. Ainsi, le monde du travail devient le lieu privilégié pour susciter, entretenir ou détruire ce « capital social ».
En fait, si les peuples étaient lucides, ils seraient solidaires…
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